De Saint-Michel à Compiègne

J’ai senti qu’il avait besoin de se confier, cet homme aurait pu être mon grand-père. Une certaine amitié s’établit entre-nous, je l’amusais, je lui faisais penser à Gavroche, mais notre présence en ces lieux n’était pas la faute à Voltaire, ni celle de Rousseau ! Au cours de conversations, il me dit s’appeler d’un nom que je n’ai pas pu retenir, un nom grec, long et finissant par « poulos » et être le patron d’une grande entreprise à Toulouse, genre grande distribution de maintenant, et que son arrestation devait être un avertissement, afin qu’il se plie à la volonté de l’autorité allemande. Quelques jours après, il nous quittait, dans une sortie aussi majestueuse que son entrée, en emportant avec lui le sentiment de l’existence d’un autre monde, qui avait dit « non » à l’occupant.

Au retour, à la Libération, j’ai appris que M…..poulos avait tenu sa promesse. Mon épouse et les enfants, ont été surpris de recevoir un énorme colis plein de victuailles, qui a été le bienvenu à cette époque de restriction. Je n’ai jamais revu ce monsieur, les circonstances de la vie ne l’ont pas permis, pourtant j’aurais aimé l’en remercier.

Dans la cellule, le caractère de chacun commence à se dessiner, les joutes oratoires s’engagent, ce qui procure un dérivatif salutaire, les mêmes thèmes reviennent régulièrement : la politique, l’église et surtout la bouffe. Après plusieurs jours passés ensemble, la confiance revenue, chacun de nous raconte les raisons de son arrestation. On peut noter que la plupart sont dues à des actes de militants, issus de partis politiques, tombés dans la clandestinité depuis le début de l’occupation, souvent des actes personnels, ces militants étant coupés de tous contacts avec les dirigeants, à part ceux incorporés dans des réseaux de résistance, ou ralliés à De Gaulle. Toutes les couches sociales étaient représentées, l’élite côtoyait la masse, la masse des obscurs, des sans grade, qu’on appelait la résistance civile, certes la résistance a eue ses chefs, ses héros, ses réseaux organisés, mais sans la masse, la résistance armée n’aurait pu exister !

Encore des bruits de serrures et de cris, qui viennent rompre le silence, mais cette fois je crois que c’est le grand départ vers l’inconnu.

De cette prison Saint-Michel de Toulouse, qui se vide de tous ses occupants, combien sont revenus vivants de ces camps de concentration, que l’on a surnommé les camps de la mort, car c’était la destination finale, en passant par Compiègne, au camp de Royallieu.

De ce camp, j’ai des souvenirs partagés. Après nos 40m3 pendant deux mois de la cellule de Saint-Michel, ici on respirait un peu, le camp était clôturé, avec des miradors tous les cinquante mètres, mais on était dans des baraques en bois, avec une certaine liberté.

Ce que je n’ai pas apprécié, et je n’étais pas le seul, était la différence de catégories de détenus. Certains avaient des chambres particulières, des armoires pleines de nourriture, et des valets pour les servir. Quant à nous, l’apprentissage de la survie débutait, on avait droit aux épluchures, derrière les cuisines.

J’ai appris à mon retour, que deux de mes sœurs, qui avaient appris mon arrestation et ma présence à Compiègne, firent le déplacement Paris-Compiègne à vélo pour m’apporter un colis, un colis que je n’ai jamais reçu.

Le 6 avril 1944, à 7h du matin, nouveau rassemblement, et en colonne par 5, nous traversons Compiègne. Nous voici à la gare, alignés 5 par 5, devant un convoi d’une douzaine de wagons à bestiaux, un wagon confortable réservé à l’escorte allemande, et à chaque extrémité du convoi, un wagon plateforme équipés de mitrailleuses. On nous fouille, mais certains ont pu déjouer cette inspection. A l’appel de notre nom, nous formions un groupe de 125 prisonniers, aligné 5 par 5, devant chaque wagon.

« Le livre mémorial de la déportation parle de 80 par wagon, mais le nombre de 125, puis en gare de Novéant de 200, complètement nus, me paraît plus conforme, le nombre était de 12 wagons pour 1459 déporté ».

Nous avons droit à une boule de pain, un bout de saucisson à l’ail, que nous engloutissons sans tarder (on en avait jamais vu depuis trois mois), mais rien à boire. Devant le wagon, un échafaudage en forme de tremplin est installé afin de pouvoir accéder à l’intérieur. Cinq par cinq, à coups de crosse, de cravaches, de cris, nous sommes forcés de gravir ces tremplins et de rentrer dans l’antichambre de la mort. Très vite, j’enregistre la situation du lieu, les deux fenestrons sont déjà occupés, je choisis la paroi arrière du wagon qui se remplit à toute allure. Dans un silence qui se prolonge, les gens s’interrogent, puis des appels s’élèvent, des noms, des prénoms à la recherche d’amis, des questions et des réponses fusent. Et soudain, les verrous fonctionnent dans un bruit assourdissant, les portes glissent, laissant apparaître l’intérieur de enfer. Dans un grand bruit de sifflet de vapeur, le convoi s’ébranle pour un voyage qui va durer trois jours et deux nuits.

 

Suite: http://www.olmes-echo.com/pages/memoire/des-wagons-a-bestiaux.html 

Wagons à bestiaux... A destination... SS, Kapos, GUSEN... Entraide et Solidarité... Retour à Mauthausen... Retour à la vie...

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D.B.

Date de dernière mise à jour : 09/05/2016

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